• MASSAT - 1957 - PÂQUES.

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    Le Cami - LES PORTRAITS

     

    Le Cami - LES PORTRAITS

     

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    1957 - PÂQUES en ARIEGE

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    Cette  photo fait partie de ces clichés qui  revêtent un sens particulier parce qu'on a pris soin d'annoter quelque chose au verso du document. On peut lire " 21 avril 1957".

    Une recherche rapide permet de constater que ce 21 avril était un dimanche mais pas un dimanche banal. C’était le dimanche de Pâques.

    Nous sommes à Bourroute, devant la fenêtre de la salle à manger. Ici, comme un peu partout en France, Pâques était l'occasion de rassembler la famille.

    Dans cette  région où la température n’est pas toujours clémente, Pâques était souvent  la première occasion de l'année de descendre au fond de la vallée. Pendant l'hiver, la neige abondante et le manque de moyens de locomotion faisaient  qu'il était  difficile de descendre du nid d'aigle que constituaient les  fermes pourtant pas très éloignées sur les hauteurs du massif de l'Arize.

    Les grands parents ont rejoint les enfants. Les "petits enfants, sont rentrés de la ville, profitant des vacances scolaires. Ils ont quinze et dix-huit ans.

     

    Poussés par les parents ils poursuivent des études pour éviter de tomber dans le rituel dont les générations précédentes ont été victimes : tout faire pour éviter de  travailler la terre.

     Il faut pourtant  "donner un coup de main" aux  parents le moment venu, c’est-à-dire dans trois mois  lorsque la saison des foins débutera. Ce sera alors les grosses chaleurs et les insupportables  taons , ces grosses mouches qui lors de la saison chaude, se posent sur vous pour vous sucer le sang jusqu'à satiété, oubliant même de se sauver lorsque vous esquissez le geste de les chasser. Jean les attrapait, les déshabillait en leur enlevant les ailes et les lâchait, observant malicieusement leur maladresse.

    En d'autres pays on appelait ça de la "torture". J'avais un camarade qui faisait la même chose en classe, à ceci près qu'il trempait les pattes de l'insecte dans l'encrier avant de le lâcher sur une feuille vierge  pour observer l'œuvre  originale dont il était l'auteur malgré lui.

     

     

    Mais revenons dans notre Ariège profonde...

    La fille, comme le garçon  retrouve le pays pour quelques jours. Elle a laissé pour quelques jours ses études. Placée à la même enseigne que son frère elle se saisira dans quelques semaines de la fourche ou du râteau pour faire le même travail que son frère sous le soleil brulant de l’été.  Elle aussi est bien décidée à faire autre chose que de trimer comme le font ses parents. Il n'est pas question, non plus qu'elle se marie avec un cultivateur . Le père, un pas devant tout le monde, en est bien conscient. Il doit sortir ses enfants de cet engrenage dont il a été victime : l'ingratitude de la terre qui ne nourrit plus son homme l'incite à pousser ses descendants à préparer un métier. S'il a choisi de travailler aux cantonniers du village, c'est bien pour avoir les moyens de leur payer des études. Quant à sa femme, juste derrière lui, elle a entrepris de travailler l'été à la colonie de vacances qui s'installe dans les locaux de l’école du village. C’était ce qu’on appelait autrefois un "cours complémentaire". Faute d'élèves les locaux ne remplissent plus leur fonction. Ils ont été  affectés à l'hébergement d'enfants d'une ville du centre de la France : une aubaine pour le village qui peut ainsi faire revivre ce lieu si vivant autrefois.

     

    Pour l’homme et la femme, en été les occupations ne manquent donc pas. Il faut, en plus du travail à l'extérieur, s'occuper du bétail, du foin,  de toutes les tâches quotidiennes et donner un "coup de main" aux anciens qui, malgré leur âge avancé ont encore en charge leurs terres là-haut dans le massif de l'Arize.

    Le plus ancien  c'est la personne assise qui cajole  Bambi, le chien de la famille. Lucie, la petite dame complètement à gauche, droite comme un I a revêtu sa robe, la plus récente d'un noir sans nuance. Elle n'a pas eu  le choix de la couleur. Tous les vêtements des femmes d'un certain âge de cette époque sont noirs.

    En ce mois d'Avril où tout le monde est réuni, où le printemps fait revivre la nature, où les travaux sont dans une période creuse, il faut se saisir du bon temps.

    Même Anna, complètement à droite, la mère de Marcel, elle qui a plutôt tendance à gouverner tambour battant, a pris la pause. Les mains dans les poches de son tablier, elle est sereine. C'est elle qui a endossé la responsabilité du bien à la mort de son mari  en 1941. Cela fait donc 16 ans qu'elle "trime" aidée de, son fils et de sa belle fille. Le mari n'a jamais été vraiment motivé par le travail de la terre. Il exerçait d'ailleurs le métier de cantonnier. Cela ne l'empêchait pas, cependant, d'apporter une aide précieuse lorsque cela s'avérait nécessaire. C'est Anna qui avait les pleins pouvoirs à la ferme. Elle formait avec son fils un duo redoutable dont le but premier était la sauvegarde du patrimoine familial. Son engagement moral...et physique...était d'autant plus rude que, l'imbrication des terres par suite des successions rendait impérieux le respect des règles  régissant l'entretien des rigoles qui conduisaient l'eau aux différents point de la propriété.

     

    Le plus heureux de tout ce petit monde était, sans nul doute, Baptistou.

    Est-ce le fait d'avoir participé à ces terribles batailles de la grande guerre qui lui permettait de relativiser l'importance et la gravité des évènements ? Son frère, un peu plus jeune, victime d'une balle perdue n'avait pas fini la guerre. Lui en était revenu vivant pour continuer sa vie de paysan avec ses parents et se nicher dans ce nid d'aigle que constitue la petite ferme dans laquelle il a toujours vécu. Parfois décrié par la famille, il a pris du bon temps tout en exerçant un pouvoir, caractéristique de  ces patriarches qui ne partageaient que ce qui était de leur bon vouloir. La moustache en bataille, l'œil bleu scintillant, la cigarette roulée au coin des lèvres, cette journée de Pâques est pour lui l'occasion de raconter ce qui s'est passé en cette pèriode d'isolement  et de dire ce qu'il a prévu de faire aux beaux jours. Il attend cela avec impatience...

     

    A Bourroute, comme dans beaucoup de foyers, en 1957 il n'y a pas de téléphone. L'évènement de la fête de Pâques ajoutent donc à l'aspect religieux la joie des retrouvailles qui donneront certainement l'occasion de faire un repas familial copieux avec les ingrédients de la ferme. Sans doute aura-t-on "sacrifié", pour l'occasion, un de ces lapins ou de ces poulets  nourris aux bons aliments naturels. Peut-être aura-t-on sorti, pour clore le repas,  la bouteille  d'eau de vie fabriquée par le bouilleur de cru du coin avec les fruits de la ferme.

    On aura certainement " refait le monde" pour combler le manque de communication qu'a engendré la saison rude en ces montagnes coupées du monde.

    Nous ferions un fâcheux oubli en ne parlant pas de la personne qui cachée derrière l'appareil a appuyé sur le bouton et nous a permis de parler de tout ce petit monde. C'est certainement un visiteur qui a voulu garder un souvenir de cette journée de printemps.

    Ne manquons pas, non plus, de dire combien il a été judicieux de noter au dos de la photo cette date du 21 avril 1957. Sans ces quelques mots, qui en disent long, il nous aurait été difficile de faire cet arrêt sur image.