• Gontran et YOLAINE - Chapitre 1

    1962 - Gontran vers l'aventure 

                                                           Gontran a vu le jour en Algérie, de parents nés dans ce pays alors colonie française. Il a vécu avec sa famille, une enfance heureuse cependant troublée par ce qu’on appelait alors « les évènements  » c'est-à-dire une guerre entre les « occupés », indigènes et les « occupants » qu’on appelait les Européens parce que les français, conquérants du pays avaient été,  rejoints par des Espagnols, des Maltais, des Italiens fuyant souvent les conditions misérables qu’ils connaissaient dans leur pays natal. Le grand-père paternel de Gontran était Espagnol. Son grand-père maternel né en Algérie était d’origine Maltaise. Ce mélange de nationalités, de coutumes, de sensibilités  créait un climat qui engendrait une ambiance douce et joyeuse amplifiée par la douceur du climat méditerranéen. Gontran  aimaient écouter les anciens parler ce langage, mélange d’expressions importées du tour de la méditerranée et de mots contractés et déformés : des mots parfois créés de toute pièce par ces gens dont la communication  essentiellement  verbale avait influé sur la prononciation parce qu’ils n’avaient pas beaucoup fréquenté l’école.

    Gontran sentait bien que ce monde là et celui qu’il découvrait au lycée étaient en déphasage.  Les « Européens », devenus français, n’étaient plus seuls à occuper les bancs de l’enseignement secondaire. Et, même si la génération des parents et grands  parents gardaient espoir de maintenir leurs privilèges au sein du pays qu’ils avaient su faire prospérer et enrichir, les « évènements » tant politiques que « guerriers » n’illustraient pas leur optimisme.

    1962 - Gontran vers l'aventure

    L'entrée du lycée de Gontran en 1962

    Gontran devait se présenter à la première partie du Baccalauréat. A deux reprises les épreuves ont été annulées. La première fois, à la suite de l’assassinat d’un surveillant. La deuxième, parce que les sujets avaient disparus.

    Jour après jour l’excitation s’amplifiait au village. La date de l’indépendance était connue et la population était prise entre l’envie de rester au pays et la crainte de vengeances ou de représailles. Petit à petit un vent de panique souffla de plus en plus fort jusqu’à ce qu’une course à l’obtention de places de bateaux s’organise. 

    Gontran sentait bien qu’il n’était plus question de passer le « bac » dans son lycée. Les évènements faisaient qu’il n’était plus envisageable de rester vivre au village.

    Il apprit que grâce à son oncle, son père avait obtenu dans un premier temps 3 places de bateau. Trois seulement, dans le même navire. Et le quatrième ? Il était question que Gontran ne parte pas dans le même bâtiment que ses parents. Le surlendemain les choses changèrent :une quatrième place avait été obtenue.

    Gontran entendit  pour la première fois parler de « cadre ». Il s’agissait de ces containers dans lesquels les marchandises étaient stockées pour leur transport sur les bateaux. Le père de Gontran avait obtenu un de ces containers, d’un volume tout juste suffisant pour transporter l’essentiel des meubles et objets de la famille. Certains des meubles resteraient dans l’appartement parce que dans son utopie, il envisageait de « mettre la famille en sécurité » en France et de revenir poursuivre ses activités en Algérie. Il était comptable dans une coopérative de planteurs de tabacs. Son idée était d’autant plus utopique qu’il avait pris beaucoup de risques en allant payer les ouvriers de la coopérative sur le terrain et que son signalement avait été donné. S’il avait décidé de partir c’était bien pour cela. Un de ses camarades d’enfance, indigène, lui avait conseillé de ne plus « tenter le diable » en se promenant avec le salaire du personnel dans la voiture. Gontran le savait parce qu'il avait entendu son père le raconter  à sa mère. Il savait, en outre, qu’il tenait à ce qu’il puisse passer son bac.

    Le 18 juin, une date facile à retenir, la famille embarqua donc pour la France.

     

    Gontran deux grosses et lourdes valises dans chaque main, un sac à l’épaule, suivait sa sœur qui essayait de ne pas perdre trace de sa mère, elle même sur les pas du père.

    C’était  l’euphorie, la bousculade. Il fallait jouer des coudes et des épaules pour se frayer un chemin jusqu’à la passerelle. L’ascension jusqu’au pont était lente et pénible. Lorsque Gontran arriva enfin sur le bateau, il ressentit un immense soulagement. Il posa ses valises, se saisit de la sacoche, en retira une petite caméra et entama un long  panoramique des quais du port.

    1962 - Gontran vers l'aventure

    La caméra de Gontran

    Ce port,  il le connaissait bien pour y avoir déambulé quelques jeudis, jour de congé. Seul, il aimait voir les grues travailler. Un peu à l’écart d’un pécheur il l’observait et attendait patiemment, comme lui, espérant une prise. Sa promenade terminée il remontait en ville par le cours. Quand il faisait chaud, il s’arrêtait pour manger un créponé, ce sorbet au citron qui faisait tant de bien au palais.

    Son panoramique prit fin sur la gare installée tout près des quais.

    1962 - Gontran vers l'aventure

    La gare d'où partait le train pour le village de Gontran

    C’était le point de départ de la ligne vers le village dans lequel il avait vécu pendant dix huit ans. Lorsque son index droit lâcha le bouton de la caméra il comprit que les images qu’il venait d’enregistrer étaient sans doute les dernières d’une vie qui avait été pleine d’insouciance et de soleil. Mais l’idée de voguer sur la Méditerranée vers un monde nouveau effaça la nostalgie qu’il ressentit en faisant glisser sa caméra dans son étui. Le bateau s’éloigna du quai. Une voix l’appela. C’était celle de sa mère. Il saisit ses deux grosses valises et descendit au cœur du bateau pour  rejoindre sa place..

    1962 - Gontran vers l'aventure

    Le port et, derrière les palmiers, le cours qu'empruntait Gautran pour retourner en ville

    C’est au moment où la famille remonta sur le pont que les remorqueurs libérèrent  le bateau… L'aventure ne faisait que commencer... pour Gontran et toute sa famille..