• MONDOVI - Les Rameaux avant Pâques

     

     

     

    A Mondovi comme dans toute l' Algérie, le lien était étroit dans les pratiques religieuses entre le sacré et les superstitions. Nous avons déjà parlé de ces vieilles dames qui avaient la réputation de lutter contre le coup du sort ou le coup de soleil. À la superstition s'ajoutaient les coutumes importées des pays d'immigration (Espagne, Italie, Corse, Sicile, Malte et France).

    Ainsi tout au long de l'année l'église de Mondovi ne manquait pas de pratiquants. Qu’il s'agisse de la célébration de la Sainte vierge, de la Nativité, de la Semaine sainte. Les deux messes de l'année où il y avait le plus de monde était le dimanche des Rameaux et la fête de la Toussaint. Ce sont d’ailleurs, en général, les deux messes les plus prisées des chrétiens. Il faut remarquer que ces deux fêtes, des rameaux, où l'on repart avec des branches bénies et de la Toussaint, où l'on va déposer des fleurs sur les tombes sont des portes ouvertes sur la superstition. Le brin de rameaux coincé derrière la croix du Christ était comme une sorte de gris gris destiné à protéger la maison et tout ce qu'il y avait dedans, objets matériels ou humains confondus. Dans certaines familles des brindilles de ces rameaux étaient réparties sur l'ensemble de la maison mais aussi dans les granges, les étables et même les remises. La fête des rameaux a donné naissance à une sorte de rituel plus près de la magie que de la religion.

     

    À Mondovi, Il y avait une tradition qui illustre une fois de plus l'amalgame du sacré et des coutumes dont nous parlons plus haut. Le jour des rameaux les enfants avaient droit à une branche artificielle dont l'armature était fabriquée avec du fil de fer. Le matériau était enveloppé de papier coloré et de rubans. Cette branche évoquait le rameau naturel porté par les adultes.

    Les Rameaux

     

    L'origine de la fête des rameaux



    C'est par des cris de liesse et de joie que les premiers chrétiens ont accueilli Jésus faisant son entrée triomphale sur un ânon, à Jérusalem. Tout en l’acclamant, la foule étendait des vêtements sur la route afin de lui faciliter le passage. Dans le même temps, d'autres fidèles coupaient des branches - et donc des rameaux…ce mot vient du latin « ramus » qui veut dire « branche » - de palmiers et les posaient, également sur la route.

    Pour commémorer cet événement, l'Église se devait de fêter dignement ce Dimanche des Rameaux, également appelé Dimanche de la Passion. Les premières manifestations remontent au VIIIe siècle où chacun se rendait à l'église avec un rameau de palmier à la main, en guise d'hommage. Au départ, il s'agissait, uniquement de palmier, arbre très présent en Palestine à l'époque biblique

    Plus tard, en France, en fonction des régions, les fidèles apportaient un brin d'olivier, en Provence et dans le sud Languedoc, une branchette de buis, au centre et à l'est du pays ou un rameau de laurier, en Normandie et en Bretagne.

     

    Les Rameaux
    Aux ramures de cette branche artificielle étaient suspendues toutes sortes de friandises achetées par les parents (œuf, cloches, poule en chocolat). Une grosse orange confite ornait son sommet là où un crochet était prévu pour tenir l'ensemble.
     Le jour des Rameaux les familles conduisaient les enfants à la messe. La motivation essentielle des parents était de faire bénir les rameaux.
     Les Rameaux Les Rameaux

    Le plus difficile pour les bambins était de résister à la tentation de mordre dans une des friandises de cet arbre magique. Il fallait absolument attendre la fin de la messe pour que la dégustation commence et pour qu’elle soit sans doute plus bénéfique. Souvent il fallait même attendre de rentrer à la maison pour décrocher le sujet que longtemps à l'avance l'enfant avait prévu d'entamer. Les couleurs bariolées des rameaux créaient une ambiance de fête un peu comme le font les sapins garnis au moment de Noël. Même pour les familles non pratiquantes la tradition perdurait.

    J'ai eu la surprise de constater que le même type de coutume était respecté en Provence. On dit qu'elle a son origine en Italie, chose tout à fait possible quand on sait que beaucoup d'Italiens ont migré dans le sud de la France.

    Dans certaines régions de France à la fête des rameaux on confectionnait des pains aux formes de cheval de coq. On les accrochait à une branche avec une pomme à l'extrémité

    La fête des Rameaux était la première occasion, après l'hiver d'entrer dans la belle saison. Ce n'était pas encore l'été, loin de là. Le dicton "En avril ne découvre pas d'un fil" était de rigueur en Algérie aussi. On supportait encore la petite laine mais la tentation était grande de revêtir, pour la première fois la toute nouvelle tenue des beaux jours.

    Avant que la cérémonie commence sur le parvis on attendait le moment fatidique pour rentrer dans l’édifice. On voyait essentiellement des hommes « bien mis ». Les dames étaient  déjà installées dans l’église. C’était  une habitude ; les hommes entraient les derniers, juste au moment où le curé commençait l'office. Ils restaient au fond de l’église, debout, même si des places étaient libres sur les bancs. Cela valait au curé de demander parfois qu’on s’avance, pour permettre à ceux qui étaient  derrière, de rentrer dans l'édifice.

    La messe  finie, les hommes sortaient... les premiers, bien sûr... Certains filaient droit vers le bistrot le plus proche pour retrouver les collègues ou amis et boire une anisette. Ils retrouvaient là des passionnés de jeux de cartes qui avaient "délégué" leurs femmes pour les représenter auprès du Bon Dieu le temps de la messe. Ces femmes qui se  retrouvaient après la messe pour prendre des nouvelles et s'attarder, mettant en exergue leur élégance. Au village, la réputation de certains n'était plus à faire et les "flambeurs" n'étaient pas forcément les plus riches. 

    Les fêtes des Rameaux et de Pâques étaient l'occasion de réunions familiales. Plus que jamais la macaronade s'imposait. C'était le plat familial par excellence dans cette région de Bône qui avait été prise d'assaut par de nombreux maltais après la conquête du pays. Lorsque notre grand-père était encore en vie nous nous réunissions dans la petite ferme sur la route de Barral. C'est au cours de ces réunions que nous profitions des joies de la campagne. Jusqu'en 1953, ce que les "grands" appelaient les évènements passait au second plan. Nous avions une certaine liberté qui a été  restreinte quand les premiers attentats ont été annoncés.

    Les Rameaux marquaient aussi le début des vacances qu'on appelait "vacances de Pâques", congés qui arrivaient à peu près trois mois après ceux de Noël, puisqu'à l'époque, les vacances de février n' existaient pas. Nous avions donc tout  loisir de profiter de la semaine qui séparait les Rameaux de la grande fête de Pâques. Cette semaine là, certaines familles confectionnaient des couronnes. C'était la tradition dans la région : le symbole de la couronne du Christ.  A la différence de la région oranaise qui dégustait la Mona, un pain brioché nous avions nos couronnes de Pâques. C'est la preuve de l'influence des coutumes importées par les européens dans les différentes régions de l'Algérie. Nous, les gens de l'est nous étions plus proche des traditions maltaises et Italiennes. Notre couscous ressemblait beaucoup au couscous tunisien parce que nous n'étions pas loin de la frontière tunisienne. Me croirez vous si je vous dis que je ne savais pas ce qu'était une paella avant de quitter l'Algérie ? Ce plat typiquement espagnol était surtout dégusté en Oranie où une majorité d'espagnols se sont installés. Ma mère fabriquaient donc ses couronnes et il m'arrivait de l'aider  à  les transporter chez Mr Zammit, le boulanger du village, qui voulait bien qu'on utilise son four après la cuisson de son pain. Mon père avait confectionné des plats en tôle qui pouvaient contenir trois couronnes chacun. Ma mère et moi en transportions un. Cela faisait donc au moins six couronnes que nous dégustions  en tranches trempées dans le café au lait du petit déjeuner ou avec une barrette de chocolat au goûter.

     A Pâques l'église était pleine. Jusqu'au jour de notre communion, nous les jeunes, nous avions  obligation morale de nous rendre à la messe tous les dimanches. Un devoir que nous dictait monsieur le Curé appuyé par nos parents. Nous faisions preuve d'une crédulité savamment administrée par nos parents qui avaient hérité cela des leurs. Nous occupions les premiers bancs. Les filles étaient installées dans la rangée de droite, les garçons à gauche. Seuls, les garçons étaient préposés à la fonction d'enfant de Chœur. Il y avait des attitrés, le plus souvent choisis en fonction de leur débrouillardise et non de leur foi.

    A la fin de l'office, il arrivait que le Curé sorte sur le parvis. Il était alors entouré des mères de familles fières de pourvoir dialoguer avec le représentant de cette religion qui était un pilier moral de leur vie quotidienne.