• MASSAT : Récit d'un soir

     

     

     Le soir alors que la dernière buche se consumait dans la cheminée, il arrivait souvent que la journée se prolonge autour de la table de la cuisine, l’unique pièce chauffée de la maison. Marcel sortait la bouteille de « Riquiqui », eau de vie fabriquée avec les fruits de la ferme. En sirotant ce breuvage qui aurait pu faire revivre un mort, chacun disait la sienne. Ce soir là ,Marcel passa en revue les personnages atypiques de la communauté. J’ai pris note de ce récit que j’ai longtemps conservé dans un tiroir.

    En voici des extraits. 

     

    La Catalinate

    Un jour nous étions comme ce soir, autour de la table quand on a entendu frapper à la porte. Je me suis levé pour aller voir. C'était une vieille femme que l'on apercevait souvent dans le village. Elle vivait près du moulin dans une grotte, au bord de la rivière. Le soir on pouvait deviner qu’elle était là à la lueur de la bougie qu'elle utilisait pour s'éclairer. Elle parcourait les rues du village et allait parfois dans les fermes des environs. Toujours à pied, bien sûr. Les cheveux attachés en chignon sur la tête elle était habillée de vêtements rapiécés.

    Qu’il fasse chaud ou pas, qu’il pleuve ou qu’il vente elle se promenait toujours avec son parapluie, rapiécé, lui aussi.

    C'était la première fois que je la voyais de si près.

    - Venez...Entrez !

    - Non, non est-ce que vous auriez un petit œuf à me donner.

    Elle allait ainsi, de maison en maison dans le seul but d’obtenir quelque chose à manger. Le plus souvent un œuf lui suffisait « un petit œuf, disait-elle ».

    J'ai eu beau insister pour qu'elle entre. Il n'y a rien eu à faire.

    Bien des fois on lui a proposé une maison, seulement pour passer l’hiver. La municipalité lui a même offert ses services. Elle a toujours refusé. Pour avoir dormi une nuit sous le toit d’une maison, durant laquelle, elle a été malade en mourir, elle refusait toute invitation prétextant que sa vie, c’était la nature. Tous les soirs, son fidèle compagnon, le parapluie, au bras, elle rejoignait  sa grotte pour y dormir.

    Un jour on apprit qu'elle était morte. Des gens du voisinage, surpris de ne plus voir la lueur de la bougie, l'ont découverte gisant sur son lit de paille dans la grotte où elle vivait.

    Alors les langues se sont déliées. On a appris qu’elle avait été mariée à un gars de la région avec lequel elle a migré aux Etats-Unis. Son mari est malheureusement décédé dans la « force de l’âge ». Elle est revenue vivre au pays tellement malheureuse qu’elle en a « perdu la tête ». Sans ressources elle a mené la vie de mendicité qu'on lui a connue. Elle était très gentille et personne ne lui faisait de mal. On l’appelaient « La Catalinate » je ne sais pourquoi.

     

    Bid le clochard

    Bid, lui, je savais pourquoi on l’appelait ainsi. Il avait un ventre énorme à force de boire des canons.

    Un jour j'étais au bistrot avec le cousin Guillaume. On buvait un coup.

    A l’autre bout du Zinc, Bid cuvait les « canons »qu’il avait ingurgités avant qu'on y entre.

    Bid, je le connaissais parce qu'il passait régulièrement récupérer les peaux des lapins (*) que l'on tuait pour faire du civet. Il les revendait à un marchand de fourrures de St Girons. Il vivait des sous qu'il en faisait.

    Notre verre terminé nous quittons le bistrot. Bid fait de même. Je laisse Guillaume devant chez lui et je me dirige vers la sortie du village pour monter à la ferme. Le temps de dire "au revoir" à Guillaume, Bid m'avait devancé. Son état lui a tout juste permis d'entamer la côte dans la rue de l'école. Par curiosité j'ai regardé jusqu'où il pouvait monter. Incapable de gravir la cote, je l'ai vu s’enfiler dans une buse qui était là, au bord de la rue. Il s’y est allongé et y a, parait-il, passé toute la nuit. C'est le cantonnier qui l'y a découvert le lendemain matin, frais comme un gardon.

    MASSAT : Récit d'un soir

    (*) Le marchand de peaux de lapins.

    En 1950 des marchands ambulants collectent encore en France un total de cent millions de peaux de lapins par an.

    Certaines ménagères ont appris à tanner la peau pour fourrer des chaussures ou des bottes ou pour confectionner un manteau ou une couverture. D’autres les vendent au marchand de peau de lapins, une sorte de d’acheteur ambulant qui passe régulièrement de maison en maison. Pour les femmes qui guettent son passage, les quelques sous laissés, constituent un revenu d’appoint (0,10 à 0,15 Francs la peau en 1960, alors que le salaire minimum horaire est de 1,64 F).

    Le marchand revend les peaux récoltées. Les plus belles sont achetées par les fourreurs locaux. Les autres sont achetées par les chapeliers. Il faut environ cinq peaux pour avoir le poil nécessaire dans la confection d’un chapeau. Une fois les poils retirés la peau nue est ensuite utilisée pour fabriquer de la colle… Rien ne se perd.

    Entre les deux guerres la collecte s’est ralentie. Elle continuera en campagne jusqu’en 1970   puis s’arrêtera. Le mode de vie évoluant. En ville les familles achètent le lapin « nu ». L’activité de marchand de peaux se perd.

    Peyot

    Chez nous beaucoup d'habitants du village avaient un sobriquet. Souvent on ne connaissait même pas leur nom de famille.

    Peyot en patois veut dire « chiffon ». C’était l’un des deux tailleurs du village. L'autre c'était Léonard.

    Peyot était installé tout près d'ici à Esquen. C’est lui qui a confectionné mon costume de communiant. Et puis il a fait mon costume de marié.

    Plus tard, Peyot a transformé mon costume de marié pour faire un tailleur pour Yvonne (la femme de Marcel).Ma mère n'était pas trop contente parce que la tradition voulait que l’on conserve son costume toute sa vie.

    Au village beaucoup d’habitants se sont fait faire un seul costume dans leur vie : celui qu’ils ont porté le jour de leur mariage et qui leur a servi pour faire le dernier voyage, le jour de leur mort.

    MASSAT : Récit d'un soir