• MONDOVI : LES KEPIS BLANCS

     

     

     

     

    Plus que Kit Carson ou Buffalo Bill, héros des bandes dessinées que nous lisions durant les années cinquante, je garde de mon enfance le souvenir d’un personnage au couvre-chef  blanc. Expert au tir à la carabine, sa précision et sa régularité m’avaient impressionné.

    Je chassais le moineau dans la cour et le jardin de la Tabacoop, grande coopérative de tabac et plus grosse « boîte » du village.

    Il s’approcha de moi tout en regardant le dernier cadeau que j’avais eu à Noël : une petite carabine à air comprimé suffisamment puissante pour tuer un oiseau à sept ou huit mètres.

    Il tendit le bras comme pour me demander de lui passer l’arme.

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    • Ça tire quoi ça ?
    • Des plombs !

    Je sortis deux ou trois plombs de ma poche pour les lui montrer.

    • Elle est chargée ?
    • Oui…mais…il faut armer !

    Pour moi « armer » signifiait  plier le canon pour compresser l’air du système. C’est ce qu’il fit.

    De sa main gauche il fouilla dans la poche supérieure  de son veston pour en tirer une cigarette. Il la plaça sur une aspérité du tronc du figuier planté  au milieu de la cour.  Il recula de 6 à 7 mètres, mit en joue, tira. Deux morceaux de la cigarette tombèrent au pied du tronc. Un autre gars au képi blanc, curieux, s’approcha. Comme son collègue il était prêt à sacrifier la cigarette qu’il positionna  à la même place sur le tronc. Il la rata de peu. Il recommença et rata de nouveau. Le premier, impatient repris la carabine. La cigarette subit le même sort que la première.

    Comme au stand d’une fête foraine, un troisième puis un quatrième homme s’approchèrent et cela devint un jeu qui dura jusqu’au  dernier plomb de ma réserve.

    Ces hommes aux képis blancs étaient  des légionnaires de passage au village. Pendant  quelques jours la tabacoop  avait été leur lieu d’hébergement  momentané. Les docks de la coopérative, réquisitionnés  leur servaient de dortoir.

    Le soir, j’avais rapporté l’anecdote à mon père. Il me raconta alors un fait marquant que l’on racontait  à propos du régiment.

    « Cela se passait en 1863 au Mexique près du hameau de Camerone. Pour permettre au  corps  expéditionnaire français de prendre la ville de Puebla, 62 légionnaires ont barré  la route de  l’armée mexicaine composée de plus de 2000 hommes. Dans les ruines d’une hacienda les   62 légionnaires ont mis 500 mexicains hors de combat avant de succomber. Le nom de Camerone  est à jamais brodé  sur le drapeau  du 1er régiment de la légion étrangère ».

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    Nous étions en 1955 et la tabacoop  hébergeait  ces hommes qui revenaient de la guerre d’Indochine durant laquelle environ 300 officiers, 1000 sous-officiers  et  9000 légionnaires sont morts. Cette année-là  les légionnaires étaient la dernière unité française à quitter le Tonkin devenu Nord-Viêt-nam.

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    La musique de la Légion étrangère en Algérie.

    Après les durs combats de Diên Biên Phu, ils retrouvaient des terres qu’ils considéraient comme  les leurs. Des terres qu’ils avaient commencé à conquérir  en 1831.

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    Cette année-là, en effet,  la France avait entrepris  la conquête des  rives africaines de la Méditerranée pour établir des colonies de peuplement. Il fallait des soldats pour protéger  les colons-défricheurs et pacifier la région encore tenue par des émirs et des tribus hostiles. C’est ainsi que fut décidée la création d’un régiment de légionnaires étrangers. Ils étaient issus pour la plupart des mouvements révolutionnaires qui secouaient l’Europe et des répressions qui s’ensuivirent. C’étaient des Russes, des Allemands, des Suisses, des Espagnols, des Belges, des Hollandais. Les  Français n’avaient pas le droit de s’enrôler dans ce régiment. Certains détournèrent cette interdiction en se faisant passer pour des Belges.

    Alger, Oran, Bône virent arriver les premiers légionnaires dès le second trimestre de l’année  1831. Les  soldats étaient répartis  par nationalités dans 5 bataillons.

     

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    En 1832 le bataillon allemand et suisse reçut le baptême du feu non loin d’Alger à Maison-carrée. Ils se heurtérent ensuite à l’Emir ABd el-Kader.

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    En 1835 c’est au bataillon Polonais de subir sans fléchir l’assaut de milliers de carabiniers arabes. Ils font  la preuve  que la légion peut être comparée aux meilleures troupes de l’armée française.

     

    Cette même année , les légionnaires son envoyés en Espagne au secours d’Isabelle II l’héritière du trône dont veut s’emparer son oncle Don Carlos. Les combats sont rudes. Des  4100 soldats débarqués en Algérie, il ne reste plus que 500 hommes. Un nouveau régiment est alors créé, toutes nationalités mélangées.

    C’est ce régiment qui prendra la ville de Constantine avant de se rendre en 1855 en Crimée contre les Russes. En 1859 la légion se distingue en Italie (Magenta et Solférino). Puis c’est l’expédition au Mexique (Camerone).

    La Légion dans Constantine >>>

    La prise de Constantine

     

    En 1870-71 les légionnaires combattent pour la première fois sur le sol français alors que l’article premier de son « acte de naissance » le lui interdit.

    A l’approche du 20ème siècle, la Légion a combattu sur pratiquement tous les continents. Mais son vrai fief c’est l’Algérie et sa maison Sidi bel-Abbés une ville qu’elle a sorti de la pierraille. Son quartier général est le quartier Vienot, du nom d’un de ses colonels tué en 1855 à Sébastopol à la tête de ses soldats.

    Si la Légion se sent chez elle en Algérie c’est  qu’elle a largement contribué à développer le pays en y construisant des pistes, des routes , des ponts, des lignes de chemins de fer.

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    La prospérité et la pacification du pays sont  toutefois perturbées  par  des bandes insoumises , traversant la frontière incertaine avec le Maroc.

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    A deux reprises à El-Moungar, au sud de Béchar, la légion subit l’assaut de dissidents fanatiques.

    Le 2 septembre 1903, leur chef tué, les légionnaires s’apprêtent à

    « faire Camerone »,

    c’est-à-dire  résister sur place jusqu’au dernier plutôt que de se replier et d’abandonner les corps de leur camarades à la mutilation et à la profanation. Les rares survivants sont sauvés in extremis par une colonne de renforts.

     

    Arrive ensuite la grande guerre et son immense carnage. Au tocsin qui retentit dans les campagnes françaises, répond un flot d’étrangers qui se portent volontaires pour défendre la France. Ils sont rapidement envoyés sur le front en 1915.

    La bataille d’Artois voit périr pas moins de 5000 soldats du 1er régiment étranger. La même année la Légion est présente en Serbie face aux Bulgares, contre les Turcs aux Dardanelles.

    Lorsque la paix revient la Légion retrouve le sable du désert marocain pour achever la pacification du pays. Elle prépare alors son centième anniversaire dont la date choisie est celle de Camerone : 30 avril 1931.

    Chaque année, le 30 avril, l’anniversaire du combat de Camerone est fêté dans le monde entier par tous les légionnaires.

    La cérémonie qui se déroule au quartier Vienot à Aubagne, revêt une solennité particulière. La musique au grand complet joue « Le Boudin, on sort la main de bois du capitaine Danjou de la crypte pour la présenter aux légionnaires, le récit de la bataille est lu à haute voix. Jean Danjou, est né le 15 avril 1828 à Chalabre (Aude), tué au combat le 30 avril 1863 à Camerone (Mexique). Le 1er mai 1853, au cours d'une expédition topographique en Algérie, il perd la main gauche à la suite de l’explosion de son fusil. Il la remplacera par une prothèse articulée en bois, dont il se servira comme d’une vraie.

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    On dit que la prothèse a été retrouvée en juillet 1865 par le lieutenant autrichien Karl Grübert chez le propriétaire français d'un ranch  à 100 km du lieu du combat. Celui-ci la tenait d'un guérillero ayant participé au combat. Le lieutenant Grübert la lui rachète pour 50 piastres

    Toutes décorations pendantes, les légionnaires défilent alors de ce pas lent et majestueux qui évoque une puissance inébranlable. En tête, selon la tradition, marchent les sapeurs barbus portant le tablier en cuir de buffle, la hache sur l’épaule.

     

    En 1931, lors des fêtes du centenaire de la Légion, les 1er et 4ème régiments étrangers portent encore le képi rouge; c'est seulement en 1939 que, pour la première fois, les légionnaires défilent en képi blanc sur les Champs-Elysées, noir pour les officiers et les sous-officiers, frappés de la grenade à sept flammes. reçoive la prestigieuse coiffe blanche.

    Le couvre képi blanc existe depuis les campagnes du Tonkin et d'Afrique mais ne sera réglementaire qu'au milieu des années trente.

    Le jeune recrue n'y a pas droit. C'est seulement après la première période d'instruction, s'il ne sont pas renvoyés à la vie civile que les nouveaux légionnaires

    Mai 1940, c’est la ruée des Panzer à travers la France. Comme en 1870 et 1914, la légion passe en métropole pour défendre la France. Elle se bat avec bravoure sans pouvoir arrêter le déferlement. Les rescapés seront renvoyés en Afrique du Nord.

    Mai 1942, dans le désert de Libye, Rommel fonce vers Alexandrie pour s’emparer de l’Egypte et du Canal de Suez. Les Anglais battent en retraite. Un seul obstacle reste à franchir, le camp retranché de Bir-Hakem tenu par les  français libres.

    Durant 15 jours d’enfer sous un déluge d’obus et de bombes, repoussant tous les assauts côte à côte avec leurs camarades coloniaux, les légionnaires arrêtent deux divisions allemandes et réussissent une percée de nuit à travers les lignes ennemies qui les encerclent.

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    Après le débarquement allié en Afrique du Nord, la Légion se retrouve réunie au combat pour chasser l’Allemand de la Tunisie.

     

    9 Mars 1945, en Indochine, par surprise, les troupes japonaises attaquent l’ensemble des garnisons françaises, massacrent les prisonniers à la mitrailleuse ou au sabre, violent les femmes européennes, pillent, arrêtent les civils, les déportent dans des camps de la mort lente, les enferme dans des cages à tigres. Les légionnaires présents dans la colonie se battent sans espoir durant 48 heures avant de succomber. Lorsque la France revient en Indochine, le japon vaincu par l’arme atomique débute une longue guerre de neuf années de combats meurtriers  aux quels la Légion participera largement.

    Ces hommes à qui j’ai prêté, le temps d’un tir, ma petite carabine à plomb étaient donc des rescapés de cette terrible guerre d’Indochine dont, jeune adolescent j’entendais parler. Ils revenaient sur « leur » terre d’Algérie pour la défendre. Ils l’ont fait d’est en ouest, de la Méditerranée au cœur du Sahara, toujours les  premiers au feu. Ils ont combattu partout, l’ont emporté partout sur les willayas rebelles comme sur les fellaghas incrustés au plus profond des djebels. Soixante-trois officiers ont trouvé la mort au cours de cette guerre ingrate.

     

    En 1960, la France a gagné sur le terrain. La rébellion est cantonnée dans ses bases du Maroc et de Tunisie.

    L’Algérie pourrait rester française.

    Cependant, une  volonté politique en décide autrement.

    Pour que les morts ne soient pas morts pour rien, des officiers, des généraux s’insurgent.

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    Le 21 avril 1961, c’est le putsch. Le premier régiment étranger de parachutistes s’empare d’Alger. Le 2ème REP s’apprête à lui prêter main forte.

    Le contingent ne suit  pas. C’est un coup d’épée dans l’eau. Le 1er REP sera dissous, ses officiers emprisonnés.

    L’année suivante la France abandonne l’Algérie.

    Un million de pieds-noirs sont contraints de quitter  leur pays.

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    La Légion fait comme eux mais elle prend le temps de tout démonter au quartier Viénot de Sidi Bel Abbès. Elle emporte ses drapeaux, ses reliques, ses trophées, son monument qui témoigne de sa gloire.

    Sous le ciel de Provence,

    à Aubagne,

    la Légion  installe son nouveau quartier général à l’image de celui de

    Sidi Bel Abbès.