• MONDOVI - 1960 : un oeil de plus !

     

     

    A partir du milieu de l'année 1960 un nouvel oeil s'est glissé au sein de la famille.Aussi discret que possible mais intrusif, parfois inquisiteur, il se voulait le témoin d'évènements ordinaires. Avec le temps ce vécu ordinaire est devenu souvenir extraordinaire et témoignage du patrimoine familial.

    Cet intrus s'est immiscé au sein de la famille à la fin du mois d'août.

    Quelle joie de découvrir ce qui est certainement le cadeau que j’ai le plus apprécié durant mon enfance.  J’avais seize ans. Au cœur de l'adolescence, lentement je rentrais dans le monde adulte. La fin des vacances approchait lorsque le facteur remit un carton à ma mère. Il fallut attendre que mon père rentre du travail pour découvrir, soigneusement emballée, la petite caméra qui fait encore partie de mon patrimoine intime. Elle est à l’origine de nombreux films familiaux que j’ai réalisés jusque durant les années 80.

     

    Expédiée du neuvième arrondissement de Paris, elle arriva au village grâce aux prouesses des PTT (c’est ainsi qu’on appelait les services de la poste autrefois). Les trieuses automatiques d’aujourd’hui auraient sans doute rejeté un colis dont la destination était erronée. Les docks de Moridon, comme l’indiquait la facture, n’ont jamais existé. Nous habitions Mondovi et les docks étaient ceux de la Tabacoop, grande société coopérative de tabacs dans laquelle travaillait mon père. Il aurait été dommage que le colis se perde.

     

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    Je n’aurais pas eu ma petite caméra mécanique, qui est à l’origine des nombreux petits films que j’ai pu fabriquer et des traces quelle m’a permis de conserver de beaucoup d’évènements familiaux.

    Voici un petit film illustre bien l’aspect technique de l’outil. Il avait la particularité d’utiliser la tension d’un ressort pour engendrer la rotation du système.

     

    Dans les années cinquante le cinéma amateur était dans ses balbutiements. Les systèmes de fonctionnement étaient mécaniques. Les produits pas toujours très fiables, étaient à des prix élevés.

     

    La caméra Geva 8 Caréna (1953) est de forme profilée très fine et élégante. Elle se distingue nettement des autres caméras produites à l'époque.   Celle-ci se caractérise par une épaisseur minimum (32 mm seulement), obtenue en plaçant le ressort derrière les bobines (et non à côté d'elles) et en adoptant un viseur escamotable dans le boîtier.

    En 1956, la caméra est dotée d'un objectif interchangeable et d'un viseur latéral fixe

    4 vitesses : 8 - 16 - 24 - 32 images seconde par mécanisme à régulateur indéréglable.

     

     

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     En 1960 je rentrais donc dans le "cercle" assez réduit des cinéastes amateurs. Où en était le cinéma amateur à cette époque?

    En 1960 le cinéma amateur avait environ un demi-siècle.

    L’idée de rendre l’emploi du cinéma utilisable par les amateurs s'est vue concrétisée à l’Exposition Universelle de 1900 à l’occasion de laquelle apparurent simultanément deux ancêtres de caméras : le Chrono de poche conçu par L. Gaumont et le Mirographe construit par Reulos et Goudeau .

    Le Mirographe est le premier appareil français pour amateur utilisant une pellicule au format réduit. Il utilisaitMONDOVI - Mon plus beau cadeau. un film de 20mm de large à encoches latérales . Il ne comportait pas de perforation, mais une encoche sur les côtés, entre chaque image. L'entraînement de la pellicule se faisait par un système de "limaçon", une roue comportant un rebord d'environ 5mm qui venait se prendre dans l'encoche de la pellicule.

     

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    Le Chrono de poche (2Kg200) présentait toutes les caractéristiques des caméras amateurs futures. Il s'agissait de la première caméra amateur à moteur à ressort avec mouvement d'horlogerie. Elle utilisait des films de 5 mètres de long, au format 15 mm à perforation centrale.

     

    Pathé lança un projecteur de format réduit pour la famille et pour l'école, le Pathé-Kok, la pellicule mesurait 28mm de large, comportant deux perforations par image sur l'un des côtés, une seule de l'autre côté afin d'assurer automatiquement le cadrage.

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    C’est en 1923 que, le cinéma d’amateur commença à prendre de l'essor.

    Cette année-là, la société Pathé, reprenant l'idée de Gaumont, lançait en France le format 9,5mm à perforation centrale. Elle offrait aux amateurs l'équipement complet comprenant caméra à manivelle (puis mécanisme d'horlogerie) et projecteur à éclairage électrique.

    La Société Kodak devint bientôt le challenger du nouveau format.

    Par la suite la Société Pathé décida de créer en 1925 une organisation par laquelle le cinéma pourrait atteindre les campagnes. Ainsi naquit la « petite exploitation » grâce à la filmothèque et aux projecteurs du format 17,5mm Pathé-Rural.

    En 1932 on passa du muet au sonore en supprimant une rangée de perforation aux films 16mm et 17,5mm pour y ajouter une piste sonore.

    La Société Kodak divisa la pellicule 16mm en deux, créant ainsi un nouveau format de film, le film 8mm. Quelques années plus tard, en 1964 la réduction de la taille des perforations du film permit d'augmenter la taille de l'image et par conséquent sa qualité. C'est la naissance du film Super8.

     

     

     

    A la fin août nous avions l’habitude de nous rendre à Bône pour célébrer la St Augustin. A cette occasion une grande messe était célébrée à la Basilique. Les habitants de la région de Bône affluaient sur la colline d’Hippone. C’était comme un pèlerinage. Ce fut pour moi la première occasion d’utiliser officiellement mon précieux « bijou ». Je n’avais pas résisté, quelques jours auparavant, d’enregistrer en catimini quelques images d’une maquette d’avion que j’avais réalisée et du poupon en celluloïd de ma sœur.

     

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    Le film revenait très cher à cette époque : une sélection rigoureuse des images à enregistrer s'imposait. Ma mère ne manquait pas de me le rappeler régulièrement : « Ne gaspille pas la pellicule » me disait-elle. Quoi de plus frustrant quand on se sent l'âme créatrice ?

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    Outre l'enregistrement, j'ai passé de longs moments à monter mes films. A l’origine la bobine de film mesurait 7 mètres cinquante de long et avait une largeur d’environ 16 millimètres. On enregistrait les 7,50 m puis il fallait tourner la bobine pour filmer à nouveau. Cette opération devait être pratiquée dans le noir pour éviter que le film prenne le jour. Au laboratoire, le film était coupé en deux dans le sens de la longueur, après le développement. On obtenait ainsi une bobine de 15 mètres de long et 8 millimètres de large. Pour cette raison le format était appelé double huit.

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    Chaque bobine de 15 mètres représentait 3 minutes de projection. Au montage la première opération consistait à découper le film en morceaux de différentes longueurs. Tous les morceaux de films étaient classés dans l'ordre qu'exigeait le scénario. Pour éviter qu’ils ne s’embrouillent, je les accrochais avec des épingles sur une baguette de bois fixée au mur de ma chambre. Il fallait ensuite passer à l'assemblage par collage : travail à effectuer minutieusement pour éviter que le film ne saute lors de la projection. Pas question, là non plus, de gaspiller. L'élimination de morceaux de films ne se faisait que dans les cas de force majeure : film qui avait pris le jour ou vraiment flou.

    Arrivait ensuite le plaisir de la projection : un rituel. L'écran qu'il fallait installer dans une pièce où il était possible d'obtenir le noir qui garantisse l'image la plus lumineuse possible. Les sièges en nombre suffisant pour garantir un confort minimum aux spectateurs qui était bien souvent les acteurs. Tout le monde avait hâte de se découvrir à l’écran. Et puis c’était le ronronnement du moteur électrique et des rouages du projecteur couvert régulièrement par des rires ou des commentaires. Parfois un collage mal réalisé entraînait une cassure accompagnée d'un Oh !!! de déception. Il fallait alors réparer rapidement. C'était le moment d'offrir un bonbon, un chocolat ou un petit verre, pour faire patienter les spectateurs. Avec le mot « fin » la lumière revenait et avec elle les commentaires qu'entraînaient les images du film ou les souvenirs qu'elles suscitaient pendant que je rembobinais le film.

     

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    Le temps a passé. Les techniques ont terriblement évolué. La qualité des documents aussi. Malgré cela, le plaisir de réaliser des petits montages qui se tiennent est toujours resté le même. Plus encore, l’envie de faire d’un moment de vie un souvenir transmissible sera toujours la première motivation des « saisisseurs d’images » qu’ils soient cinéastes ou photographes, professionnels ou amateurs.