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MONDOVI : Qu'est devenu le petit patrimoine ?
Lorsque nous avons fait nos valises pour fuir l’incertitude dans laquelle promettait de nous plonger l’indépendance de l’Algérie nous ne pensions qu’à notre peau et à celle des membres de notre famille. Tout le reste importait peu. Dans tout ce reste il y avait ce qui constituait le petit patrimoine qui meublait nos villes, villages, quartiers : les témoignages de la vie. Nous laissions autant de statues qu’il y avait de monuments aux morts, toutes les statues de personnages mis à l’honneur parce qu’ils avaient œuvré pour le bien de leur quartier, de leur village ou de leur ville. Tout ces monuments non-inscrits au classement des Monuments historiques qui ont néanmoins une valeur morale pour toute population qui s’y attache.
Il était certain que beaucoup de ces œuvres d’artistes plus ou moins connus seraient livrées au pillage comme l’ont été certains cimetières non protégés. L’armée française a pris l’heureuse initiative de déboulonner bon nombre de monuments pour les rapatrier en France.
A Bône, un peu à l’image des Remblas de Barcelone, un cours traversait la ville. Il constituait le cœur de la cité.
Une statue monumentale avait été érigée en bas des allées.
Le Cours Bertagna et ses allées arborisées
La statue de bronze
Partant de Mondovi, pour atteindre le centre-ville, nous passions tout près du monument. Gamins, nous ne savions pas que sur cette énorme colonne l’homme assis avait été Maire de la ville pendant quinze ans à partir de 1888. Nous ne savions pas que les documents qu’il retenait de sa main droite symbolisaient son travail accompli en faveur du port de Bône dans lequel attendait souvent un bateau prêt à traverser la Méditerranée pour rejoindre Marseille : ce bateau que nous avons pris pour fuir notre lieu de naissance.
INAUGURATION DU MONUMENT EN 1907.
Qu’avait-on fait de cette statue ?
Je n’en avais aucune idée et je ne me suis jamais posé la question jusqu’au jour où dans un message de ma cousine je la retrouvais harnachée sur un camion. Des souvenirs de plus d’un demi-siècle me sont alors revenus à l’esprit. Je me suis remémoré le temps où après avoir traversé le cours Bertagna, je passais à ses pieds pour me rendre sur les quais du port sans autre but que celui de fuir l’agitation du cours et flâner pour découvrir les activités portuaires. Je ne pensais pas alors que c’est sur le quai opposé que reposerait l’échelle qui me permettrait de monter sur le pont du bateau qui me ferait, pour la dernière fois, traverser la Méditerranée.
Qu’était devenue cette statue avant de finir sur ce camion ?
C’est l’armée française qui s’est chargée de rapatrier la partie en bronze représentant l’élu local assis sur un rocher. Comme tous les monuments dignes d’intérêt, l’œuvre de Sicart fut confiée dans un premier temps au Dépôt des œuvres d’art. Elle fut par la suite normalement attribuée à la famille BERTAGNA propriétaire d’un terrain dans le Beaujolais.
Après avoir orné pendant plus d’un demi-siècle le parc de la propriété la famille décide de s’en séparer.
Autre découverte sur le net : un message émanant de la famille BERTAGNA.
SOUSCRIPTION
La famille Bertagna fait don à L’Amicale des Enfants de Bône d’une statue monumentale de Jérôme Bertagna (2,20m, 2,5t), se trouvant dans le Beaujolais sur un terrain leur appartenant. Un emplacement pourrait être trouvé sur le site de la Maison Maréchal Juin à Aix en Provence.
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Nous lançons une souscription pour couvrir les frais de transport et de manutention de cette opération, estimés entre 8 et 9000 €. Les fonds seront versés sur un compte spécial et seront remboursés intégralement dans le cas, peu probable, ou l’opération ne se ferait pas.
Les camions qui emportaient la statue avaient donc pour destination Aix en Provence où réside le siège de « L’Amicale des Enfants de Bône » sur le site de la Maison Maréchal Juin.
La Maison du Maréchal Juin, propriété de la Ville d'Aix en Provence, a été inaugurée en 1994.
Cet édifice implanté 29 avenue Tübingen, dans le quartier Encagnane d'Aix-en-Provence, rassemble à ce jour une vingtaine d'associations ayant pour objet la mémoire des Français des anciens départements et territoires d'Outre Mer.
Ces associations sont regroupées depuis juillet 2001 dans un Collectif des Associations de Rapatriés.L’exil des français d’Algérie n’en finit pas de faire verser de l’encre. Les pages se suivent mais n’ont pas la même importance. Nous venons d’en tourner une qui peut paraître d’une grande banalité. Elle reflète pourtant un « volet » d’une vie sujette à nostalgie parce qu’effacée à jamais. Il est bon que nous puissions nous raccrocher à des « choses » matérielles représentatives de notre passé et tout particulièrement à celui de notre vie quotidienne sur le terrain.