• MONDOVI : Un cimetière pour le village

     

     

    En cette période où nos morts sont à l’honneur comment ne pas avoir une pensée pour ceux qu’on a laissés là-bas. Lorsque nous les avons quittés nous ne pensions pas le faire définitivement. Une sorte de rêve nous habitait, nous poussant à penser qu’un jour nous pourrions peut-être revenir pour nous occuper à nouveau de leurs tombes. Depuis 1962, année où nous avons quitté le village pas de nouvelles du cimetière ou très peu. Celles que nous avons eues n’ont jamais été rassurantes. Le temps a passé et avec lui des évènements dramatiques ont vu le jour dans un pays qui n’a pas cessé de se battre pour tenter d’aller vers un équilibre quasiment impossible à atteindre. Ces évènements nous confortaient dans le refus de baigner dans une ambiance pire que celle que nous avions fui. Ainsi les abandonnés provisoires du cimetière sont définitivement restés livrés à leur sort c’est à dire à la bonne volonté des nouveaux gestionnaires du village. Lorsqu’octobre s’achève et qu’arrive le jour des morts, nous nous sentons presque coupables de cette passivité à leur égard qui nous a fait admettre cet éloignement définitif.

    Ceux dont les tombes ont subi les outrages de malfaiteurs n’ont pas été victimes de la guerre. MONDOVI : Un cimetière pour le village

    Il y avait Carmelo, mort après avoir longtemps lutté contre le diabète. Fils d’un émigré maltais c’était un homme adoré des ouvriers indigènes qu’il employait. A son enterrement une file immense de ces gens qui avaient travaillé dans les tabacs ou le verger ont suivi le cercueil. Beaucoup parmi eux ont eu à cœur de venir ensuite régler les dettes qu’ils avaient contractées auprès de leur « patron ». Ce titre de « patron », il l’avait acquis à force de travail et d’économie.

     

    Dans un coin du cimetière, Il y avait aussi Michel. Artiste peintre de profession il s’était chargé de repeindre bénévolement tous les saints de l’église du village. Sa passion pour la musique l’avait MONDOVI : Un cimetière pour le villageamené à créer un petit orchestre qui animait les bals de la région. Alors que sa femme, que l’on croyait perdue, se sortait péniblement de sérieux problèmes de santé il tomba malade à son tour. Il ne fallut que quelques mois pour que la maladie lui fasse abandonner à jamais la passion qu’il avait transmise à ses deux ainés : la musique.

    Dans un autre quartier une jeune fille est venue rejoindre beaucoup trop tôt Carmelo et Michel. Elle s’appelait Bernadette et n’avait pas eu la chance d’avoir à la naissance tout ce qui permet à un enfant d’acquérir l’autonomie qui fait de lui un adulte. Bernadette a vécu toute sa vie dans un landau puis dans une poussette. Une vie horriblement déprimante pour ses parents. Bernadette a rejoint le cimetière à l’âge de 12 ans.

     

    MONDOVI : Un cimetière pour le villageQuelques années plus tard, son petit frère, né pour la remplacer mourut d’un terrible accident d’automobile. Il s’appelait Christian. Bernadette et Christian étaient les enfants de François dont nous parlons un peu plus bas dans cet article. Il faut bien-sûr ajouter à ces « abandonnés » tous ceux qui ont rempli ce lieu où nous ne manquions pas d’apporter les fleurs que nos parents avaient fait pousser dans leur jardin.

    C’est en 1851 que le lieu de rendez-vous des morts avait été inauguré. Trois ans après l’arrivée des premiers colons. Il avait été implanté à l’écart du village. Pour le rejoindre il fallait prendre la direction de Penthièvre, MONDOVI : Un cimetière pour le villagepasser la voie ferrée, dépasser la gendarmerie puis tourner à droite.

    Le lieu était suffisamment loin pour que nos parents  soucieux de notre sécurité, nous interdisent de s’y aventurer seuls.

    Je me souviens cependant avoir passé de merveilleux moments lors de la retraite de ma communion avec des camarades. Il y avait, avec nous, le curé (Galéa) qui choisissait régulièrement ce champ, face à l’entrée du cimetière où nous faisions les fous. Fous nous l’étions puisque nous entamions l’âge ingrat de l’adolescence avec en ligne de mire le lycée qui nous attendait à Bône.

    Je me rappelle ce jour où deux immenses meules de paille étaient installées juste en face de l’entrée. Notre premier exploit avait été de tenter l’ascension des meules pour nous asseoir au sommet. Inutile de vous dire que la meule avait rapidement pris l’aspect d’un tas difforme. Il finit par former, à la base, un réceptacle qui nous permit de nous lancer sans crainte depuis le sommet. Je me suis, souvent posé la question de savoir si le curé connaissait le propriétaire de la paille.

    C’était en 1955. A deux pas, derrière le mur d’enceinte du cimetière, Carmelo et Michel, mes deux grands-pères devaient nous entendre crier. Ma jeunesse insouciante occultait le souci d’un recueillement même furtif. Jamais à cette époque j’aurais pu penser qu’ils mourraient une deuxième fois parce qu’abandonnés de tous.

     

    Que s’est-il passé depuis 1962 ?

     

    1993 (28 mars au 5 avril)

    Une délégation de l'ASCA, s'est rendue dans le Constantinois, l'Est Algérien.

    Cette mission avait pour but de rencontrer les Autorités Consulaires Françaises d'Annaba couvrant en partie l'ancien département de Constantine, de visiter les cimetières de cet immense territoire et de revenir à Annaba (Bône)pour rendre compte de nos constatations à ces Autorités.

    Nous tenons à remercier Monsieur le Consul Général de France à Annaba et ses collaborateurs pour l'accueil particulièrement aimable qu'ils nous ont réservé, facilitant par là notre tâche, en nous confortant dans notre mission souvent délicate.

    Dans ce pays, la sauvegarde des cimetières, ou le regroupement de certains sites irrécupérables, est une entreprise difficile, et de très longue haleine.

    Pour aider les Autorités Françaises en place qui, seules, risqueraient d'être dépassées par l'ampleur du problème, notre Communauté de Français d'Algérie se doit d'être unie autour d'elles. Tous ensembles, habités par le même devoir de réhabiliter notre mémoire, nous ramènerons la procédure à 5 ou 6 ans !

    Aussi, solennellement, je fais appel aux Associations et surtout aux Amicales de villages regroupées à l'échelon national, pour émettre leurs idées, leurs suggestions, pour participer avec nous à ce sauvetage d'envergure que nous devons à nos Ancêtres et à notre Mémoire.

    Nous avions prévenu toutes les communautés, Associations et Amicales de notre voyage. Bien peu ont répondu à nos lettres... Un plan détaillé, une vieille photo, un simple renseignement nous auraient aidés ; ou seulement une réponse à notre courrier pour nous encourager aurait été la bienvenue ! Notre tristesse est à la hauteur de l'indifférence de trop de nos compatriotes. Mais rien ne peut altérer notre détermination ! ! ! 

     Compte-rendu concernant Drean (ex Mondovi)

     MONDOVI : Un cimetière pour le village

     

    2001 - Lettre d’un internaute

    Mon épouse qui est originaire de BONE, m'avait demandé d'aller au cimetière de BONE où reposent ses grands et arrière-grands-parents paternels et maternels. Nous y sommes allés le 16 et le 17 juin 2001. Dès que nous avons poussé la porte d'entrée du cimetière, nous avons été choqués parl'état où se trouve ce cimetière. Avant on disait: "Voir le cimetière de BONE envie de mourir il te donne".

    Après ce que nous avons vu mon frère et moi, je dis :

    "Voir le cimetière de BONE envie de VOMIR il te donne".

    Nous avons trouvé la chapelle des grands et arrière-grands-parents paternels de mon épouse..., mais dans un bien triste état! Par contre, impossible de trouver le caveau des grands et arrière-grands-parents maternels, certains endroits étant devenus de véritables "forêts vierges".

     

    2004 Article de la Dépêche

    Faut-il payer pour les tombes françaises en Algérie ?

    TOULOUSE : La mairie veut contribuer au fonds pour la restauration des cimetières français en Algérie. Une décision qui ne fait pas l'unanimité chez les rapatriés.

    «Personne de ma famille n'étant retourné en Algérie depuis 62, je ne peux savoir ce que sont devenues les tombes de mes grands-parents », explique J.P., 68 ans, qui ajoute: «Avoir dû partir en abandonnant nos morts reste pour moi très douloureux. » Ils sont nombreux à partager ce crève-cœur, notamment à Toulouse qui compte beaucoup de descendants de Français enterrés en Algérie (les rapatriés étaient 35 000 en 1962). Pour la plupart restés dans l'ignorance de l'état des cimetières et des sépultures. C'est une des raisons, explique Jacqueline Baylé, maire-adjointe, pour lesquelles la mairie a décidé d'abonder le fonds créé par le gouvernement pour la sauvegarde des cimetières français en Algérie . «Pour la dignité de nos morts, une mise en ordre de la situation est indispensable, dit-elle. Ce qui peut être restauré doit l'être. On nous en donne l'occasion et la ville se sent concernée par cette solidarité. » Le dernier conseil municipal a donc voté - à l'unanimité - une participation de 10 000 € par an sur la période 2004-2007.

     

    Tombes profanées

     

    «C'est une bonne chose, commente J.P., mais j'aimerais savoir si ce fonds va bien être employé sur place à l'entretien des tombes. » Paulette et Félix Lupy se montrent, eux, plus circonspects: «Des amis reviennent juste de la région d'Oran. Ils nous ont affirmé que tous les cimetières ruraux y sont dévastés. » Mais c'est le président des Français d'Outremer et du Cefanom, François Baeza, ancien élu et chargé de mission au cabinet du maire, qui se montre le plus critique:

    «Peu après que nous avons eu à choisir entre la valise et le cercueil, j'ai vu des photos de cimetières dans Paris-Match, et j'y ai reconnu celui de Mondovi où sont enterrés les miens. Nos tombes étaient profanées, des poules et des lapins se baladaient dans les allées. Je ne me fais pas d'illusion: on va envoyer des fonds pour réparer des cimetières alors que nos morts ne sont plus dedans! Je suis contre cette décision qui est plus politique que réaliste. »

    Jacqueline Baylé précise, elle, qu'une délégation des villes donatrices ira chaque année contrôler la bonne utilisation des fonds et que selon la délégation gouvernementale qui a visité plus de 200 cimetières, beaucoup sont encore restaurables.

    François Baeza croit en revanche que la flamme de la mémoire peut-être entretenue ici même. C'est pourquoi avec son association il a fait ériger une stèle dans le cimetière de L'Union, en hommage aux disparus d'Outremer et qui porte à la fois la Croix, l'Étoile de David et le Croissant. Mais il ne décolère pas contre la décision municipale,

    «il faudrait plutôt s'occuper du problème des indemnisations », dit-il.

    Il sera reçu aujourd'hui même par le maire pour lui faire part de son mécontentement.

     

    400 000 tombes

     

    Les cimetières français en Algérie sont au nombre de 600, représentant plus de 400 000 tombes, qui ont souffert des outrages du temps et des hommes. Dans le but de sauvegarder ce qui peut l'être de ces lieux de mémoire, le Président de la République a annoncé la mise en place d'un plan d'action et de coopération relatif aux sépultures civiles françaises en Algérie. Un fonds de concours a été créé au ministère des Affaires étrangères et certaines communes ont décidé de contribuer à son financement. C'est le cas de Toulouse où une commission municipale des rapatriés s'est prononcée; «toutes les associations y ont été invitées», assure J. Baylé; mais F. Baeza en conteste la représentativité. Michel Baglin

     

    2006 - Visite d’un internaute en 2006

    Le cimetière européen a été une raison importante de notre voyage.   En l'état actuel, la plupart des tombes ou caveaux ont leur face avant murée avec de la brique enduite de ciment. C'est une bonne décision qu'a dû prendre le Consul et l'Association IN MEMORIAM qui fait un travail remarquable.

             Que s'est-il passé ? Pendant la période FIS (une dizaine d'années), le cimetière était devenu une zone de non droit (brigandages, beuveries….) délaissée par les forces de l'ordre. 80% des plaques de marbres, avec noms des familles et défunts, et fermant les faces avant des tombeaux, ont été déposées pour être volées et probablement vendues pour récupération. Les plaques cassées à la dépose sont restées sur place. Les caveaux se sont retrouvés avec leurs faces avant béantes ….d'un effet désastreux pour ceux qui ont eu le malheur de visiter le cimetière à ce moment-là. D'où la décision prise de murer les faces avant.