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MASSAT - Légende : Les sabots de Bethmale.
Comme dans beaucoup de vallées, le sabot est la chaussure que les paysans ont longtemps portée.
Marcel savait fabriquer ces chaussures et j’ai pu le filmer transformant une pièce de bois en sabot.
Il existe, pas loin de Massat, une vallée dans laquelle les sabots avaient une forme particulière : c'est la vallée de Bethmale.
Voici la légende à laquelle ont donné naissance ces chaussures d’un autre temps.
Au IXe siècle les Maures avaient envahi les Pyrénées et, en particulier la vallée de Bethmale. Vers eux coulaient toutes les richesses et l'on s'attendait bien à les voir en profiter longtemps.
Le chef de la vallée de Bethmale s'appelait Boabdil, comme le dernier roi de Grenade dont il était le lointain parent. Son fils, qui s'appelait Boabdil aussi, lui ressemblait comme une goutte d'eau, avec ses yeux noirs, sa peau basanée, ses gestes langoureux. Il passait son temps à se promer dans les prairies fraîches à l'ombre des noisetiers, ou bien, mollement assis sur la rive d'un torrent, il confiait à l'eau ses tendres espérances.
Ce fut pourtant bien par hasard qu'il rencontra la plus jolie fille du pays. Qu'importe son nom ?
Appelez-la Jeanne, Marie ou Amélie. Ses moutons attirés par l'herbe fine au bord du torrent la menèrent tout simplement à Boabdil.
Quand les deux jeunes gens se virent, lorsque leurs regards se croisèrent, ils tombèrent follement amoureux.
Pourtant Jeanne, Marie ou Amélie était déjà fiancée et son fiancé était dans la montagne avec tous les hommes des villages de la vallée qui avaient fui devant les Maures.
Là-haut, dans les forêts profondes, près des étangs gelés et des abîmes vertigineux, ils s'entraînaient au combat, taillant des arcs et des flèches, traquant les ours et les isards.
Mais ils passaient aussi une grande partie de leur temps à scruter ce qui se passait dans la vallée.
La belle jeune fille n'hésita pas. Elle se laissa fléchir par la voix douce de Boabdil, ses gestes langoureux et ses rêveries infinies. Elle les préféra au parler rocailleux et abrupt du garçon de la montagne. Celui-ci ne tarda pas à être averti de la trahison de sa fiancée. Il ne laissa rien paraître de ses sentiments, mais on le vit plus souvent parcourir la montagne, charrier du bois, remuer les blocs.
Un matin, il découvrit un noyer déraciné par la tempête. Les racines effilées de l'arbre semblaient vouloir griffer les nuages. Il entreprit de les scier et alla les laver au torrent.
Ensuite, il décida de se faire une bonne paire de sabots. Assis sur une pierre plate qui dominait la vallée et d'où la vue s'étendait à tous les villages, il creusa la racine, polit, tailla et réussit des sabots dont le bout fin comme une aiguille remontait jusqu’aux genoux.
Quelque temps après, tous les bergers vêtus de peaux de moutons, de peaux d'ours ou de loups se rassemblèrent dans la montagne, puis s'élancèrent pareils à l'avalanche dans la vallée. Ils étaient armés d'arcs, de flèches, de lances, d'épées.
Les Maures surpris, essayèrent de fuir mais les bergers ne leur en laissèrent pas la possibilité. Il y eut quelques combats farouches entre les rochers et les troncs d'arbres, dans les rues du village. Le sang coula jusqu'au torrent. Mais le doute n'était plus permis, les bergers étaient victorieux.
Dès le lendemain, les vainqueurs défilèrent dans les rues d'Ayet. A leur tête avançait l'ex-fiancé, le visage haut, la poitrine gonflée. Tous les gens rassemblés poussèrent un cri de stupéfaction en le voyant. À chacune des pointes de ses sabots était enfilé un cœur : celui de Boabdil et celui de la plus jolie fille de la vallée qu'il avait séduite.
Maintenant vous savez pourquoi les fiancés de la vallée de Bethmale offrent à leurs fiancées une paire de sabots au long bout qu'ils ont eux-mêmes soigneusement façonnés.